Session 5 : Pédopiégeage – études de cas

« À certains moments, j’ai eu le sentiment d’être la seule qui prenait au sérieux un rapport concernant des abus à l’encontre d’enfants lorsqu’il faisait état d’une allégation contre une personnalité populaire ou célèbre du football. Parfois, la première réaction de tout le monde était : « Hors de question ! Il doit y avoir une erreur » ; « Il ne ferait jamais quelque chose comme ça ! » ; ou même : « Ces enfants doivent exagérer ou plaisanter ; ce n’est vrai ! ».

Certaines des personnes qui avaient fait l’objet d’un signalement comptaient également parmi mes collègues, et ma réaction instinctive était de supposer qu’il s’agissait d’une erreur. Mais j’ai beaucoup travaillé pour rechercher les suppositions dans les rapports – de la part d’autres personnes et de la mienne. Les suppositions peuvent être dangereuses, car elles nous empêchent d’utiliser nos procédures de manière cohérente.

J’ai appris à être objective et professionnelle lorsque des préoccupations sont soulevées. Je vérifie que je ne tire pas de conclusions hâtives en raison de l’identité de la personne faisant l’objet du signalement. Je m’efforce de suivre un processus équitable pour chaque rapport – et de résister aux personnes qui font pression sur moi pour que j’ignore certaines informations.

C’était difficile au début, mais je pense que j’ai désormais la réputation de m’en tenir aux règles et de suivre nos procédures. Si le comportement de quelqu’un ne pose pas de problème, l’enquête le fera ressortir. »

« Kim est un entraîneur génial. Il connaît tout du jeu. C’est un ancien joueur professionnel et on s’entend super bien. Il dit qu’il peut m’aider à atteindre le sommet, à condition que je continue à travailler dur et que je n’écoute personne d’autre que lui. Kim a commencé à me donner des séances d’entraînement supplémentaires tout seul, lorsque les autres joueurs ont terminé. Il dit que j’ai du talent. Les autres garçons n’osent pas me taquiner, ils savent que je suis son préféré.

Il est autant mon ami que mon entraîneur. Je peux lui parler de tout, de la maison, de l’école, et même quand je suis triste. Il me prend dans sa voiture pour aller et revenir de l’entraînement pour aider ma tante. Parfois, on va chez lui pour regarder des vidéos de football. On rigole beaucoup ! Le mois prochain, il m’emmènera voir un match de qualification pour la Coupe du monde. Je n’ai jamais pris l’avion ni été à l’hôtel avant. Ça va être génial ! Personne d’autre ne vient. Je me sens différent des autres !

Kim sait qu’on n’a pas beaucoup d’argent, alors il m’a acheté ce magnifique haut d’entraînement. C’est cool ! Il m’a aussi acheté un téléphone portable. On s’envoie des SMS et des messages sur Facebook, et des photos et des vidéos amusantes de mes joueurs préférés. Il a dit que je ne devais pas parler de ces cadeaux, sinon les autres joueurs seront jaloux. J’ai hâte d’aller à l’entraînement ce soir. »

« J’ai rencontré l’entraîneur de Li, Kim, plusieurs fois. Il est venu se présenter chez nous peu après que Li a commencé au club. Un homme charmant. Tellement attentionné. Il a repéré le potentiel de Li. Il pense qu’avec son aide, Li pourra devenir professionnel. Il lui offre des entraînements supplémentaires et il a donné à Li de l’équipement et un vieux téléphone portable pour lui rappeler les entraînements et lui donner des conseils de jeu. Kim emmène bientôt un groupe de garçons voir un grand match. Ce sera une grande expérience pour Li et une occasion de découvrir le monde.

Je suis vraiment contente que Li ait une relation spéciale. Kim nous a dit de nous adresser à lui si on avait des inquiétudes au sujet de Li, qu’il était là pour nous aider. Li va parfois chez Kim pour regarder des matchs importants. Il sait que je n’aime pas le football ! Il habite près d’ici et a commencé à emmener Li au football. Ça m’aide et ça m’évite d’attendre près du terrain dans le froid ! Je suis très reconnaissante pour tout ce qu’il fait pour Li. »

« Kim a vraiment pris Li sous son aile. Ils passent beaucoup de temps seuls ensemble. En tant que club, nous avons essayé de mettre en place des directives, des guides de pratiques sûres, notamment en demandant aux entraîneurs de ne pas prendre de joueurs seuls dans leur voiture. Je ne dis pas qu’il y a quelque chose de mal. Kim est la dernière personne à faire quoi que ce soit pour perturber les garçons. Mais quelques parents ont remarqué à quel point ils semblaient proches et l’ont signalé.

J’étais nerveuse à l’idée d’en parler à Kim, et quand je l’ai fait, il s’est mis en colère. Il m’a rappelé à quel point les fausses rumeurs pouvaient être préjudiciables, pour le club et pour lui, et qu’il en parlerait à son avocat si quelqu’un osait répandre des mensonges à son sujet. Il m’a dit que les mesures de prévention dont nous avions mises en place n’étaient que des guides et qu’il était le mieux placé pour savoir ce qui était le mieux pour les joueurs. Je me suis sentie très mal, c’est mon patron et un collègue. Et bien sûr, il a raison. Il n’a rien fait de mal et a toujours fait son maximum pour le club et les joueurs. Le soutien qu’il apporte à Li est un autre exemple de l’attention qu’il porte aux autres. »

« Le mois dernier, j’ai été appelé par une joueuse senior et l’entraîneur des femmes, Fran. Fran était nerveuse, mais voulait mon opinion sur un arbitre, Stefan, un de nos meilleurs officiels. Très connu et apprécié, Stefan s’implique beaucoup auprès de toutes nos équipes nationales.

À différentes reprises au cours de l’année dernière, plusieurs personnes avaient approché Fran en lui disant que Stefan les avait parfois mises mal à l’aise. Pris un par un, il semblait s’agir de problèmes différents, relativement mineurs. Aucune des personnes avec lesquelles Fran avait parlé ne souhaitait faire un signalement officiel ou déposer une plainte, et la plupart d’entre elles avaient dit qu’elles ne se sentaient pas vraiment à l’aise pour en discuter avec moi. Par exemple, Stefan était trop familier avec certaines des joueuses plus âgées, faisait des blagues grossières et des remarques devant l’équipe, et faisait des commentaires sur l’apparence de certaines jeunes joueuses. Une mère avait dit qu’elle se sentait mal à l’aise parce que Stefan se tenait toujours trop près des filles quand il était avec elles, passant souvent un bras autour de l’une d’elles. Elle avait aussi remarqué que parfois il semblait regarder leurs poitrines plutôt que leurs visages.

Chaque fois, quand Fran en avait parlé, ils avaient estimé qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter et que Stefan était probablement juste une personne très sympathique. À vrai dire, il n’avait rien fait de mal. Ils en avaient tous conclu qu’il était juste quelqu’un d’unique. Fran avait décidé de ne pas aller en parler à Stefan, mais l’avait mentionné une fois de manière informelle au manager de Stefan ; et s’était fait vivement remettre à sa place ! Elle s’était entendu dire avec force qu’elle faisait des histoires à partir de rien, que tout cela était exagéré et pouvait coûter son emploi à Stefan, et son meilleur arbitre à notre Association. Fran en était donc restée là.

Mais récemment, Fran a participé à un weekend dans un centre d’entraînement pour toutes les équipes, et comme d’habitude Stefan était là. Cette fois, il semblait porter son attention sur deux des filles de moins de 16 ans en particulier, passant beaucoup de temps avec elles, à la cafétéria à l’heure des repas et lors des moments de détente le soir. Les filles semblaient avoir beaucoup apprécié son attention, mais une de leurs amies a dit à Fran que Stefan les avait persuadées de lui donner leurs numéros de portable. Il leur avait envoyé des « messages très personnels », selon elle, et leur avait demandé de ne pas les montrer à leurs parents ou à leurs entraîneurs. Elle a ajouté que les filles se sentaient maintenant un peu nerveuses. Par conséquent, Fran a décidé de me contacter. »

« En raison de ce que Fran a raconté, et de l’image globale du comportement de Stefan, j’ai décidé qu’il pouvait bien s’agir d’un cas de pédopiégeage. Bien que rien ne vienne suggérer que Stefan ait porté préjudice à l’une des joueuses, une réponse immédiate était quand même nécessaire, car son comportement enfreignait clairement le code de conduite qu’il avait signé. Comme à chaque fois, j’ai pris des notes de tous les détails fournis par Fran pour instruire mes dossiers. J’en ai ensuite parlé à un collègue de la police, qui m’a dit que j’avais eu raison de venir leur demander conseil. Ils ont fait quelques vérifications.

J’ai été abasourdie d’apprendre que Stefan avait un casier judiciaire. Il avait notamment essayé de persuader trois adolescentes d’avoir des relations sexuelles avec lui et avait envoyé des photos de lui nu à une élève de 17 ans d’une école où il travaillait ! Il avait réussi à éviter la prison, mais avait été licencié et avait quitté l’enseignement, à peu près au moment où il avait commencé à arbitrer. Lorsqu’il a commencé dans le football, nous n’avions pas de procédures de recrutement sûres. Aucune vérification n’avait jamais été faite auprès de la police, et nous n’étions pas au courant de ses antécédents dans l’enseignement.

La police a ouvert une enquête criminelle qui est toujours en cours et qui l’a amenée à parler à de nombreux joueurs et membres du personnel. Depuis que nous avons découvert son casier judiciaire et les signes de pédopiégeage de sa part, Stefan a été suspendu de toutes les activités relatives au football. La suspension est quelque chose que nous avons veillé à prononcer immédiatement par le biais de notre comité d’éthique et de discipline. Elle sera maintenue jusqu’au terme des investigations policières. L’association pourra ensuite lancer sa propre enquête interne afin que cela ne se reproduise plus. Quelques membres du conseil d’administration se sont montrés réticents à l’idée de mener une enquête interne, mais le soutien de mon responsable lorsque j’ai dû justifier cette action m’a rassurée. Nous ne pouvons pas prendre de risques avec le bien-être des filles. »