3.1.3 Enseignants contractuels, de substitution et communautaires

Un nombre croissant de pays d’Afrique, d’Asie du Sud et du Sud-Est et d’Amérique latine ont abandonné le modèle d’un corps enseignant majoritairement ou exclusivement réservé aux enseignants employés à titre permanent (fonction publique ou autre) pour engager de nombreux enseignants contractuels. Les enseignants contractuels sont recrutés pour diverses raisons dans différents contextes nationaux :

  • équité et accès : pour étendre l’accès à l’éducation, en particulier dans les régions rurales et reculées confrontées à des difficultés en matière de recrutement d’enseignants qualifiés ;
  • raison économique : c’est un moyen peu coûteux de faire face aux contraintes budgétaires liées à l’embauche des enseignants ;
  • responsabilité : pour accroître la responsabilité locale par la réduction de l’absentéisme des enseignants et l’amélioration des performances ;
  • diversité : pour recruter des enseignants locaux issus d’un même groupe ethnique ou linguistique que les apprenants des groupes défavorisés, afin d’améliorer leurs résultats d’apprentissage.

Les enseignants contractuels sont généralement recrutés sur la base de contrats temporaires ou à durée déterminée (souvent annuels). Ils n’ont parfois aucune qualification professionnelle, disposent habituellement d’une formation pédagogique minimale (de quelques semaines ou de trois à six mois dans le meilleur des cas) et perçoivent une rémunération nettement inférieure à celle des enseignants titulaires (jusqu’à un huitième de la rémunération d’un titulaire). Dans de nombreux pays, les enseignants contractuels sont plus jeunes, en général moins expérimentés et comptent quelquefois davantage de femmes, mais ces profils sont loin d’être uniformes (Duthilleul, 2005 ; Fyfe, 2007 ; Kingdon et al., 2013).

Les résultats des différents régimes sont mitigés. Les enseignants contractuels ont permis une augmentation substantielle de la scolarisation et la réduction des REE dans les pays d’Afrique de l’Ouest où ils ont été déployés massivement pour la première fois. Cependant, ces pays se classent toujours au dernier rang ou presque des classements internationaux en matière d’accès à l’éducation et à l’apprentissage. D’un autre côté, en Inde, le recours accru à des enseignants contractuels n’a pas entraîné de détérioration de la qualité de l’éducation et, dans certains contextes locaux, a peut-être même permis d’améliorer les résultats de l’apprentissage. Il semblerait que les faibles niveaux de formation des enseignants contractuels soient compensés par des efforts scolaires et pédagogiques accrus, mais les différences sont la plupart du temps infimes et l’incidence globale est minimale. Les enseignants contractuels sont plus susceptibles de faire preuve d’assiduité que les enseignants fonctionnaires au Bénin et en Inde, mais plus susceptibles d’être absents en Indonésie et au Pérou (Alcázar et al., 2006 ; Bhattacharjea et al., 2011 ; Chaudhury et al., 2006 ; Senou, 2008). Il se peut que l’absentéisme soit moins fréquent chez les enseignants contractuels dans des pays comme le Bénin et l’Inde en partie parce que ces enseignants vivent généralement dans les communautés où se trouvent les établissements scolaires et ont moins de responsabilités non pédagogiques que les enseignants fonctionnaires (UNESCO, 2014a : 268).

Plusieurs conditions président à un recours concluant à des enseignants contractuels, qui ne sont pas simplement liées à leur statut. Au rang de celles-ci figure une plus grande implication des parents ou de la communauté, en vertu du recrutement local des enseignants. Dans une étude expérimentale menée au Kenya, l’effet positif d’une réduction de moitié des effectifs des classes grâce au recrutement d’un enseignant contractuel n’a été observé que dans les communautés où des parents avaient été formés pour encadrer les enseignants, tandis que les proches des enseignants fonctionnaires locaux n’étaient pas autorisés à se faire embaucher comme enseignants contractuels (Duflo et al., 2012). De même, au Mali, les notes obtenues en langue et en mathématiques par les élèves de deuxième et de cinquième années du primaire étaient systématiquement plus élevées avec les enseignants contractuels qui étaient suivis de près par la communauté locale (Bourdon et al., 2010 ; UNESCO, 2014a : 259).

Différentes initiatives ont été mises en place pour intégrer progressivement les enseignants contractuels dans les corps enseignants nationaux. Les enseignants contractuels et communautaires du Bénin ont été intégrés dans la fonction publique à l’aide d’une formation conforme aux normes nationales en matière de formation initiale. L’Indonésie s’est dotée d’un ambitieux programme d’évaluation, de perfectionnement professionnel et de plan de carrière pour les enseignants, en vue d’intégrer son pourcentage élevé d’enseignants contractuels dans la fonction publique, au prix d’une augmentation importante des dépenses du Gouvernement en faveur de l’éducation (Chang et al., 2014 ; UNESCO, 2014a : 258).

Diverses initiatives prometteuses visent à appuyer le perfectionnement professionnel des enseignants sans formation au moyen de l’enseignement à distance. Au Ghana, le programme de diplôme pour enseignants sans formation dans le domaine de l’éducation de base fournit un soutien à plus de la moitié des enseignants sans formation dans les 57 districts les plus défavorisés (UNESCO, 2014a : 249).

Le recrutement d’enseignants communautaires sous-qualifiés et peu formés peut apporter un soutien aux établissements scolaires des zones reculées et des communautés marginalisées. Au Viet Nam, le programme des auxiliaires d’enseignements et de préparation à l’école lancé en 2006 a permis à plus de 100 000 enfants de bénéficier d’un apprentissage. Plus de 7 000 auxiliaires d’enseignement bilingues recrutés localement dans 32 provinces ont été affectés pour aider les enfants issus de minorités ethniques dans les zones reculées à se préparer pour l’école au moyen d’activités d’éducation de la petite enfance pendant deux mois avant leur admission en première année de l’enseignement primaire ; les enfants ont en outre bénéficié d’un enseignement complémentaire une fois à l’école, y compris une aide à l’apprentissage du vietnamien (Harris, 2009 ; UNESCO, 2014a : 280). Au Cambodge, les enseignants stagiaires sont normalement tenus de terminer la douzième année d’étude pour pouvoir entrer dans l’enseignement ; cependant, cette mesure a été assouplie pour les zones reculées ne disposant pas du second cycle de l’enseignement secondaire, ce qui permet une augmentation du nombre d’enseignants motivés pour rester dans lesdites zones reculées et capables de dispenser un enseignement dans la langue locale (Benveniste et al., 2008 ; UNESCO, 2014a : 235).

Certains pays à revenus élevé et intermédiaire ont mis en place des systèmes similaires aidant à recruter comme enseignants les meilleurs diplômés directement issus de l’enseignement supérieur. Ces autres voies d’entrée, utilisées pour la première fois aux États-Unis avec le programme « Teach for America », permettent de recruter les diplômés d’université qui souhaitent enseigner dans les établissements scolaires défavorisés des zones urbaines et rurales, en leur offrant une formation initiale et une initiation succinctes avant qu’ils ne commencent à enseigner. Ces programmes se sont étendus à plusieurs autres pays de l’OCDE et d’Amérique latine. Des évaluations indépendantes du programme « Teach for America » ont montré que ces enseignants sont aussi efficaces que d’autres enseignants également sans formation pour ce qui est d’obtenir des résultats d’apprentissage sur la base d’épreuves normalisées, mais qu’ils ne sont pas aussi efficaces que les enseignants débutants certifiés qui ont bénéficié de la formation classique à l’enseignement. De plus, 50 % de ces jeunes personnes quittent l’enseignement au bout de deux ans et 80 % après trois ans : des chiffres supérieurs encore aux taux moyens de départs d’effectifs aux États-Unis. Ces taux de renouvellement élevés ont des conséquences fâcheuses sur la stabilité des environnements d’apprentissage offerts aux élèves défavorisés et occasionnent des frais de recrutement supplémentaires pour les autorités éducatives qui les emploient (Vasquez Heilig et Jez, 2014 : 1, 13-14).

Une politique enseignante doit soigneusement peser les avantages et les inconvénients d’un recrutement à grande échelle d’enseignants contractuels par rapport à l’accès à l’éducation, à la qualité de l’éducation et aux objectifs de celle-ci en matière de diversité. Même si cela s’avère souvent nécessaire et bénéfique pour améliorer l’accès à l’éducation dans les zones rurales et reculées des pays à faible revenu, la coexistence de deux différents systèmes de qualifications et d’exigences pour entrer dans la profession entraîne une dégradation de la situation professionnelle qui compromet le recrutement de candidats de qualité sur le long terme. Un programme de ce type peut d’autre part conduire à l’appauvrissement de la qualité de l’enseignement et de l’environnement d’apprentissage dans les établissements scolaires, en raison des tensions et d’une coopération limitée entre les enseignants contractuels et les enseignants employés à titre permanent. Même si certains des exemples qui précèdent montrent qu’il est possible de formuler une politique de qualité dans des circonstances peu idéales, aux fins de l’élaboration d’une politique appropriée relative aux enseignants contractuels/communautaires, il est souhaitableNote de bas de page 9:

  • d’établir un calendrier pour assurer la parité entre les enseignants contractuels/communautaires et les enseignants fonctionnaires ;
  • d’offrir à ces enseignants le perfectionnement professionnel dont ils ont besoin ;
  • de mettre en place des programmes d’initiation, de tutorat et d’encadrement par des enseignants qualifiés et expérimentés ou par les chefs d’établissement afin d’améliorer l’enseignement ;
  • de garantir aux enseignants contractuels/communautaires les mêmes droits et avantages que ceux des enseignants titulaires ;
  • d’impliquer les représentants des syndicats d’enseignants dans la prise de décisions relatives à cette politique.

3.1.2 Attraction et rétention des enseignants

3.1.4 Habilitation ou certification des enseignants