3.6.5 Rémunération au rendement

Certains pays ou systèmes d’éducation subordonnent les récompenses des enseignants à la performance, sous la forme de rémunérations ou de primes supplémentaires (souvent dénommée « rémunération au mérite » dans le passé et dans certains pays). Ces plans peuvent viser à attirer et à conserver les enseignants de qualité, ainsi qu’à renforcer la motivation et encourager les efforts conduisant à l’amélioration des résultats d’apprentissage. Les résultats de recherche n’étant pas concluants (OCDE, 2012), les instances chargées de l’élaboration des politiques devront peser attentivement le pour et le contre des régimes liés à la performance, les expériences des systèmes où ils ont été mis en œuvre ainsi que les objectifs qu’ils sont censés atteindre et la conception des régimes, avant de les intégrer dans une politique enseignante.

S’agissant des arguments en faveur de la rémunération au rendement, les données factuelles issues de la recherche donnent à penser qu’elle a permis d’améliorer la performance des enseignants et des apprenants. La Banque mondiale (2013 : 34-35) cite plusieurs études réalisées dans des pays à revenu élevé et intermédiaire pour étayer cette constatation ; (voir également OCDE, 2012 : 1, 4). Lier directement la rémunération à l’assiduité des enseignants et aux résultats des élèves semble déboucher sur une réduction de l’absentéisme chez les enseignants et un plus grand effort pédagogique de la part des enseignants, des indicateurs considérés comme étant les principaux contributeurs à la progression de l’apprentissage. Ce progrès est presque toujours mesuré, dans les études des partisans de ce régime, par les résultats des tests standardisés. D’autres suggèrent que, lorsqu’elles sont appliquées au sein des programmes scolaires, les incitations liées à la performance renforcent l’éthique du travail d’équipe, et lorsqu’elle est fondée sur l’évaluation des enseignants, la motivation est renforcée par la gratification, combinant ainsi les deux récompenses professionnelle (satisfaction quant au progrès des apprenants) et financière (revenu plus élevé). Ces arguments et les éléments probants qu’ils citent associent étroitement les incitations de la rémunération au rendement et les principaux objectifs de l’éducation.

S’agissant des arguments contre ces mesures, les recherches indiquent qu’il ne semble pas que l’amélioration des performances pédagogiques ou d’apprentissage soit liée à la rémunération au rendement [L’OIT, en 2012 (166-168) , cite des études et des études de cas effectuées dans plusieurs pays, en particulier dans des pays à revenu élevé; voir également OCDE, 2012 : 1, 4]. Les détracteurs affirment qu’il existe une multitude de résultats de recherches sur les conséquences négatives, telles que le renforcement des disparités entre les établissements, ce qui rend plus difficile pour les écoles défavorisées d’attirer les enseignants dont elles ont besoin. Les enseignants qui travaillent dans cette optique ont tendance à « enseigner pour l’examen » afin que les apprenants obtiennent de bons résultats aux tests standardisés, rétrécissant ainsi les aptitudes et connaissances qu’ils ont acquises. Les régimes de rémunération au rendement peuvent ne pas tenir compte des facteurs influant sur l’apprentissage qui échappent aux enseignants (la pauvreté, la langue, la participation des parents et l’incidence des enseignants précédents). Un plan fondé sur la fixation d’objectifs et la gestion des performances est complexe et exige du temps, des aptitudes et de la formation qui risquent de surcharger les chefs d’établissement. Lorsqu’elle repose uniquement sur la gratification des individus, la rémunération au rendement sape le travail d’équipe en tant que facteur de progression de l’apprentissage et de qualité des établissements, ainsi que la motivation individuelle des enseignants qui considèrent le plan comme injuste. Ces arguments s’appuient sur des éléments probants selon lesquels les incitations de la rémunération au rendement vont fondamentalement à l’encontre des principaux objectifs de l’éducation.

Là où les incitations liées à la performance sont utilisées plus fréquemment, les éléments de preuve réunis ces dernières années montrent que leur mode d’application joue un rôle significatif dans la réalisation des objectifs en matière d’éducation. Parmi les principaux facteurs à prendre en considération, citons les méthodes d’évaluation des enseignants en tant que base des récompenses ; la taille des incitations ; leur soutenabilité financière au fil du temps ; la relation étroite entre les comportements attendus et les rémunérations ; et le niveau des récompenses, pour l’enseignant individuel ou le groupe d’enseignants ou l’ensemble de l’établissement (Harris, 2007 ; Ingvarson et al., 2007 ; Banque mondiale, 2013, citant un éventail d’études). Le système salarial dans son ensemble joue aussi un rôle. À titre d’exemple, les pays à revenu élevé et intermédiaire de l’OCDE utilisent une gamme variée de plans pour encourager des performances exceptionnelles de la part des enseignants, y compris la position sur l’échelle de salaire de base et des paiements supplémentaires et complémentaires (de niveau ou de grade). Les performances des apprenants sont généralement plus élevées lorsque des systèmes de rémunération au rendement sont en place dans des pays où les salaires des enseignants sont comparativement bas (moins de 15 % supérieurs au PIB par habitant) et moins élevées dans des pays où les salaires des enseignants sont relativement élevés (plus de 15 % supérieurs au PIB par habitant) (OCDE, 2012 : 2-3).

La politique de gestion des ressources humaines montre qu’un plan de rémunération au rendement dans le cadre d’une politique enseignante doit répondre aux questions suivantes :

  • Quelles sont les performances évaluées : celles des enseignants individuels, d’une équipe ou d’un groupe d’enseignants, ou de la totalité des employés de l’établissement ?
  • Comment mesurer et évaluer la performance : à travers les extrants (rendement individuel ou objectifs d’apprentissage de groupe, par exemple) ou les intrants (compétences, connaissances et comportement de l’enseignant) ?
  • Comment récompenser les performances : par l’intermédiaire de l’évaluation de la performance individuelle ou du groupe, sur la base de l’appréciation de qui et selon quels critères ? (Kessler, 2005).

Au rang des principes administratifs à observer pour une réussite de la rémunération au rendement figurent l’équité et la transparence dans la mise en application ; les critères divers et pertinents ; une communication efficace ; une compréhension suffisante du système par les enseignants ; et un accompagnement professionnel pour les enseignants dont les performances ne répondent pas aux normes, jusqu’au moment où un tel accompagnement n’est plus nécessaire (voir aussi section 3.9).

En somme, là où les besoins d’enseignement et d’apprentissage, la capacité de gestion et les ressources disponibles montrent que la rémunération au rendement pourrait s’avérer utile et possible, les instances chargées de l’élaboration de la politique pourraient examiner les questions suivantes (OIT, 2012 : 166, citant plusieurs spécialistes de la question salariale) :

  • Les indicateurs de performance : sont-ils limités aux indicateurs extrêmement étroits du rendement des apprenants mesurables grâce à de tests normalisés dans les matières de base, ou englobent-ils un plus large éventail d’objectifs d’apprentissage, tels que la créativité ou la capacité de raisonner ou de résoudre les problèmes ?
  • L’évaluation du progrès : la réussite sera-t-elle déterminée par des tests normalisés ou par un éventail plus diversifié de mesures telles que les profils d’apprentissage des apprenants et les résultats de l’évaluation des enseignants (par les pairs, le superviseur de l’école ou les évaluateurs externes) ? La mesure est-elle fondée sur les progrès d’année en année, en comparaison avec un indice de référence souhaité, ou sur une définition à valeur ajoutée ? Quel poids accorder à la contribution du personnel d’appoint à l’amélioration de l’apprentissage ? Les données utilisées sont-elles suffisantes et fiables, particulièrement au fil du temps, pour contribuer à la prise des décisions en matière de gratification ?
  • La prise en considération des facteurs externes : les instruments de mesure ont-ils pris en considération les facteurs externes à l’établissement (pauvreté et apprenants défavorisés, rôles des parents, différences de financement entre les établissements ou les systèmes scolaires) ?
  • L’admissibilité et le financement : les enseignants/membres du personnel seront-ils tous admissibles ? Le plan portera-t-il sur la performance individuelle, celle de l’ensemble de l’établissement ou sur les deux ? Quelle sera l’ampleur de la gratification par rapport à d’autres compensations ? Les fonds consacrés à la gratification sont-ils soutenables au fil du temps ?

Enfin, il est crucial, en ce qui concerne l’ensemble des travaux en matière de politique enseignante, de favoriser l’acceptation et la coopération et de garantir la réussite d’un plan de rémunération au rendement en associant les enseignants et leurs syndicats/associations représentatifs à la conception et à l’application par le dialogue social (OIT/UNESCO 1966 : article 124). De nombreux régimes, voire la majorité d’entre eux, échouent s’ils choisissent d’ignorer ce principe.

3.6.4 Autres incitations non financières

3.7 Normes d’exercice de la profession enseignante