Semaine 1 Découvrir le spectre de l’autisme

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7. Une brève histoire de l’autisme : acteurs clés et étapes majeures

7.3. Les années 1960 : théories biologiques et socio-émotionnelles de l’autisme

Kanner a d’abord favorisé une explication biologique de l’autisme (des fonctionnements cérébraux atypiques). Néanmoins, il a commencé a considéré l’autisme comme une forme de retrait face à la froideur émotionnelle qu’il croyait avoir perçue chez certaines mères. Cette explication socio-émotionnelle de l’autisme a probablement été influencée par la popularité grandissante de la psychanalyse freudienne aux États-Unis, au début du 20ème siècle, qui considérait les personnalités des enfants comme fortement influencées par leurs expériences précoces avec leurs parents. Bien que Kanner ait plus tard rejeté cette théorie, elle a été encouragée et développée avec enthousiasme par le psychanalyste Bruno Bettelheim qui, dans les années 1960, pratiquait un traitement dans lequel les enfants autistes étaient séparés de leurs parents pour vivre dans un environnement « thérapeutique » spécial (Bettelheim, 1967). Il décrivait les progrès apparemment spectaculaires dans l’ajustement émotionnel, le langage et le comportement des enfants traités de cette manière, mais ses affirmations ont été discréditées par la suite.

De nombreux parents ont été extrêmement troublés et stigmatisés par cette théorie d’une mauvaise pratique parentale. Les mères, en particulier, ont longtemps été culpabilisées d’être en cause dans l’autisme de leur enfant, certains médecins leur reprochant une attitude de « froideur ». Ces accusations, non fondées, ont donné lieu à l’expression de « mères frigidaires ». Le psychologue américain, Bernard Rimland a noté que même si sa femme était une mère attentionnée et affectueuse, leur fils criait constamment et de manière inconsolable depuis son plus jeune âge. Rimland s’est mis à réunir des preuves médicales et scientifiques pour remettre en cause l’approche de Bettelheim, publiant sa propre théorie biologique expliquant l’autisme (Rimland, 1964). Il a consacré l’œuvre de sa vie à l’autisme, se faisant défenseur des enfants avec autisme et fondant l’Autism Society of America en 1965.

De la même manière, durant les années 60, le pédopsychiatre français Gilbert Lelord a commencé à combattre les idées psychanalytiques qui, en France à cette époque, dominait les explications de l'autisme.  En tant que médecin-psychiatre à l’hôpital de Tours, Lelord a créé un service thérapeutique pour des enfants décrits alors comme schizophrènes, et a poursuivi des recherches sur les bases neuropsychologiques de l’autisme pendant plusieurs décennies.

Photo de Gilbert Lelord

Figure 4 : Gilbert Lelord

Dans les années 1980, la stigmatisante théorie socio-émotionnelle de Bettelheim a été largement discréditée et abandonnée dans plusieurs pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Toutefois, dans les pays où les idées psychanalytiques ont conservé une plus grande popularité et influence, notamment la France, l’Argentine et le Brésil, les idées socio-émotionnelles sur les causes et le traitement de l’autisme ont persisté bien plus longtemps, malgré les efforts des experts tels que Gilbert Lelord (Feinstein, 2010). L’influence de ce changement d’approche concernant l’autisme est donc plus récente en France (Zaraska, 2018).