Semaine 4 Expliquer l’autisme : esprit et cerveau

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2. Psychologie de l’autisme : aborder les caractéristiques sociales

2.4. Théorie de l’esprit et pensée littérale

La théorie de l’esprit concerne la compréhension des états mentaux d’autrui, c’est-à-dire ses croyances, ses intentions, ses sentiments, etc. Certains chercheurs ont suggéré un lien entre les difficultés en ToM et la tendance à interpréter les choses littéralement dans l’autisme. Comme vous l’avez appris dans la semaine 2, dans les situations quotidiennes, les gens disent souvent une chose pour signifier autre chose. Par exemple, lorsque des personnes parlent avec ironie ou sarcasme, comprendre ce qu’ils veulent vraiment dire dépend de la capacité à « lire entre les lignes », et à aller au-delà des paroles pour comprendre l’intention selon le contexte. Pour tester comment les personnes autistes interprètent des messages non littéraux, Francesca Happé a créé le test des « histoires étranges » (Happé, 1994). 

Dans le test, les participants se voyaient présenter des histoires comme celle-ci-dessous, qui contient un exemple d’ironie : 

La mère de Marie a passé du temps à cuisiner le plat préféré de Marie : du poisson avec des frites. Mais lorsqu’elle lui amène, Marie regarde la télévision et prend même pas le temps de lever la tête ou de dire merci. La mère de Marie est vexée et dit « Et bien, c’est vraiment très gentil ! C’est ce que j’appelle de la politesse ! ». 

Il était alors demandé aux participants :

Question 1 : Ce que dit la mère de Marie est-il vrai ? 
Question 2 : Pourquoi la mère de Marie dit-elle cela ?

Ce dessin montre la mère d'Ann qui apporte de la nourriture à Ann, qui regarde la télévision et ne fait pas attention à sa mère.


Figure 2  Marie et sa mère

Alors que les participants autistes étaient capables d’identifier que ce que disait la mère de Marie n’était pas vrai, la plupart avaient du mal à identifier pourquoi elle disait cela, suggérant par exemple qu’elle était en train de « faire une blague ». Une personne qui a des difficultés à décrypter les significations et intentions dans le discours d’autrui, peut trouver tous ces genres d’expressions, interprétées littéralement, très déroutantes ou déconcertantes. Les conséquences peuvent parfois être vraiment profondes. Dans cet extrait, Wenn Lawson décrit comment, il y a des années, lorsque l’autisme était moins connu, sa compréhension littérale des questions d’un psychiatre l’a amené à être par erreur diagnostiqué comme schizophrène (Lawson and Roth, 2011). 


Transcription

Wenn Lawson : Le docteur m’a posé quelques questions. Il m’a demandé si j’entendais des voix, ce qui semblait être une question vraiment sotte car, pour autant que je sache, les voix sont conçues pour être entendues et la plupart d’entre nous, à moins d’être sourd, entend des voix ; alors j’ai dit « Oui ». Il a dit « Qu’est-ce que ces voix te disent ? » et j’ai répondu « Et bien, ça dépend de la voix qui c’est ». Il a dit : « Tu en entends plus d’une ? », et j’ai dit « Oui, j’en entends beaucoup ». Il m’a ensuite demandé si je voyais des choses, ce qui était aussi une question bizarre parce que je ne suis pas aveugle, même si je n’y vois que d’un œil, donc j’ai répondu « Oui, je vois des choses ». Donc il a conclu que je vivais détaché de la réalité, et que j’avais des hallucinations auditives et visuelles, ce qui équivaut à être schizophrène, et donc il a dit à mes parents que leur fille était malade mentalement, qu’elle était schizophrène, qu’elle aurait besoin de médicaments antipsychotiques, et en fait ils m’ont mise dans un hôpital psychiatrique.
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Avec une bien meilleure compréhension du style de raisonnement littérale aujourd’hui, des organisations comme la National Autistic Society (NAS) revendiquent l’utilisation d’un langage clair et explicite pour communiquer avec les personnes autistes.  Cependant, les liens qui existent entre la théorie de l’esprit et les compétences langagières sont discutables (de Villiers, 2000; Schaeffer et.al. 2021). Les personnes autistes avec d’importants problèmes de langage sont plus susceptibles d’échouer aux tâches de théorie de l'esprit, suggérant que les difficultés de langage pourraient être responsables de leurs difficultés en ce domaine plutôt que l’inverse.